Propos d’Ahmed Raïssouni sur le Sahara: les raisons de l’immense émoi de la junte au pouvoir en Algérie

Il aura suffi de quelques phrases, prononcées au détour d’un entretien fleuve accordé par Ahmed Raïssouni, président de l’Union internationale des oulémas musulmans, pour que tous les médias algériens soient de nouveau vent debout contre le Maroc. Dans une interview donnée le 29 juillet dernier à Blancapress, un discret site d’information, le savant religieux ultra-conservateur marocain a eu à répondre sur sa position quant à la gestion par le Maroc du dossier du Sahara.

Fidèle tant à son franc-parler qu’à son idéologie islamiste, Ahmed Raïssouni n’y est pas allé de main morte: «personnellement, je me revendique de l’héritage de Allal El Fassi et je ne m’en suis jamais caché. L’existence même de la Mauritanie est une erreur. Le Maroc doit revenir à ses frontières d’avant la colonisation européenne. Si le lien qui unit les populations du Sahara au Royaume est celui de l’allégeance, celle des tribus mauritaniennes envers le Trône est également établie». Selon lui, le dossier du Sahara est une création colonialiste, et, «malheureusement des pays frères, tout aussi arabes et musulmans que le Maroc, ont été complices de cette tentative de division en soutenant et en adoptant cette pure vue de l’esprit».

Ahmed Raïssouni a enchaîné son propos en rappelant une évidence que les Marocains ont en partage: «au Maroc, nous sommes 35 millions, et le peuple marocain est prêt au jihad et à la mobilisation, ses Oulémas en premier, que ce soit par les moyens financiers ou le sacrifice de soi, pour en finir avec les espoirs de ceux qui veulent couper le pays de son Sahara», car selon le leader islamiste, «comme cela a été le cas pour la Marche verte, nous sommes prêts, et nous serons des millions à marcher sur Tindouf si le Roi nous le demande».

S’ils n’apportent rien de nouveau, ces propos, qui font partie de la littérature de partis politiques comme l’Istiqlal, ont fait l’effet d’une véritable bombe nucléaire en Algérie, suscitant un concert de huées «là-bas». Toute la presse algérienne, largement acquise à la junte au pouvoir, en fait ses choux gras depuis hier, lundi 15 août.

Président du Mouvement national El Bina, parti islamiste inféodé au pouvoir militaire, Abdelkader Bengrina a été le premier à tirer, sur algeriemaintenant, clamant à qui veut l’entendre qu’il s’agit d’une tentative du savant musulman de semer la fitna (le désaccord) entre les peuples de la région par des propos volontairement choquants.

Bronca!

«Grand» journal de la junte, El Khabar fait sienne cette posture. Citant nombre de voix volontiers hostiles au Maroc, Echourouk enfonce le clou, parlant d’un appel à la guerre contre l’Algérie.

Et pour Ennahar, Ahmed Raïssouni a commis l’irréparable et serait même atteint de démence. Cerise sur le gâteau: l’inénarrable Amar Belani, le soi-disant «envoyé spécial chargé de la question du Sahara occidental et des pays du Maghreb» au ministère algérien des Affaires étrangères, est également entré en scène, distribuant en off un même «brief», tant à Tout sur l’Algérie (TSA) qu’à AlgériePatriotique et présentant le savant marocain comme un hurluberlu, «visiblement gavé et intoxiqué par la propagande expansionniste du Makhzen».

La prise de distance de l’Union internationale des savants musulmans vis-à-vis des positons «personnelles» de son président est présentée comme un désaveu total et absolu.

Des supports médiatiques du pouvoir comme AlgériePatriotique n’hésitent pas à présenter Raïssouni comme le «mufti du Roi». Or, ils se trompent lourdement. Raïssouni n’occupe aucune fonction au Maroc, et sa «carrière» se joue essentiellement à l’international, en Arabie saoudite, puis au Qatar notamment, depuis qu’il a quitté, en 2003 déjà, le MUR (Mouvement unicité et réforme, la base idéologique du Parti justice et développement -PJD, opposition) dont il est l’un des fondateurs.

S’il fait autorité au sein de l’instance foncièrement islamiste qu’il préside, le Royaume du Maroc, lui, se prévaut de son Conseil supérieur des oulémas, l’unique instance habilitée à émettre des fatwas, et que préside, au demeurant, le Souverain, en sa qualité d’Amir Al-Mouminine. De par son côté rigoriste et son idéologie à référentiel unique, il faut dire qu’Ahmed Raïssouni n’est pas même en odeur de sainteté auprès de nombreux cercles du pouvoir au Maroc. Ses propos expriment en effet des positions personnelles qui n’engagent que leur auteur.

De par son histoire personnelle, son parcours et ses choix souvent radicaux, Ahmed Raïssouni ne peut donc être soupçonné d’être un supplétif des autorités marocaines. Ce savant religieux est certes considéré comme une véritable référence en matière de «fiqh maqasid», une méthode de pensée qui priorise la finalité et l’esprit du texte religieux plutôt que de son caractère littéral, mais au Maroc, son ultra-conservatisme ne suscite vraiment pas l’unanimité, y compris parmi ses «frères» dont il a dû se séparer, et dont il critique, dans cette même interview, l’action, du temps où le PJD se trouvait à la tête de maroquins gouvernementaux.

Raïssouni n’y va pas par quatre chemins sur la question du Sahara, et il est en cela fidèle à sa réputation d’iconoclaste et d’esprit (un peu trop) libre. Mais dans le fond, il ne fait que souligner que la question du Sahara est un fait colonial, et que pour tous les Marocains, il s’agit là authentiquement d’une cause existentielle -et donc d’une affaire de vie ou de mort.

Historien de renom, spécialiste de l’Afrique, Bernard Lugan ne cesse d’ailleurs de le préciser, que ce soit dans ses livres ou dans ses chroniques, publiées d’ailleurs ici, chez Le360. Les frontières actuelles du Maroc ne correspondent aucunement à ce qu’elles étaient avant la présence coloniale française et espagnole au Maroc: «le Maroc étendait son rayonnement au-delà de Tagant et contrôlait les pistes du Sahara occidental ainsi que ses principaux centres urbains et caravaniers. Economiquement, l’ensemble commercial marocain partait des villes du nord du Maroc pour atteindre la vallée du fleuve Sénégal et la région de Tombouctou par les marchés de Guelmim et de Tindouf», confime-t-il.

Pour lui, dans cet ensemble, les marchandises circulaient sans entraves douanières. Il s’agissait en effet d’échanges internes pratiqués dans les limites d’un seul et même Etat, l’Etat marocain. «Au sud-est, le Touat et le Gourara, que la France attribua à l’Algérie en 1962, étaient dirigés par des caïds nommés par le sultan du Maroc», précise cet historien, qu’il est difficile de taxer d’une quelconque orientation partisane. Et pour Bernard Lugan, en effet, «avant la colonisation, les populations, qui vivaient dans cet immense ensemble, étaient culturellement, politiquement, économiquement, familialement et religieusement liées à l’Etat marocain, souverain depuis 788 de l’ère chrétienne».

Consensus

Autant dire qu’à sa manière, Ahmed Raïssouni est tout simplement représentatif du consensus existant au Royaume sur la marocanité du Sahara. Cette position que partagent toutes les sensibilités et tous les courants au Maroc constitue la plus grande aporie pour la junte algérienne. Le consensus sur la marocanité du Sahara de tous les Marocains, quelles que soient leurs différences, leur obédience, ou même leur confession, est un mur infranchissable contre lequel butent toutes les tentatives de la junte algérienne depuis près d’un demi-siècle. L’explication de la levée de boucliers en cours en Algérie est à aussi à rechercher dans cette peur qu’éprouve le régime algérien quant à la représentation consensuelle que se font l’ensemble des Marocains de leur Sahara.

Le Maroc, de fait, ne cherche pas le moins du monde à provoquer l’Algérie, encore moins à marcher sur Tindouf. Mais Ahmed Raïssouni, qu’on est en droit de ne pas tenir en sympathie, ne fait que rappeler le rôle de la colonisation dans l’amputation de la nation marocaine de ses vastes territoires, y compris Tindouf, que la France en l’occurrence a annexé à ce qu’elle appelait l’Algérie française.

Là encore, Bernard Lugan a bien su le résumer: «les dirigeants algériens ne veulent pas reconnaître que la colonisation amputa territorialement le Maroc. Ils refusent d’admettre qu’au moment des indépendances, il fut demandé à ce dernier d’entériner ces amputations en acceptant le rattachement à l’Algérie –Etat qui n’avait jamais existé avant 1962 car il était directement passé de la colonisation turque à la colonisation française– de territoires historiquement et incontestablement marocains».

Au dogme se rajoute une tactique, à laquelle le régime algérien ne nous a que trop habitués: faire feu de tout bois quand il s’agit du Maroc, et chercher par tous les moyens à en faire un ennemi extérieur, afin de détourner les regards du navire Algérie, qui, il faut le reconnaître, prend l’eau de tous les côtés. Cette fois-ci, cela l’a été au travers d’un tir nourri et groupé contre Ahmed Raïssouni, également dans le but de le fragiliser au sein de l’instance qu’il dirige. Est-ce assez pour réécrire l’histoire, tout en niant les faits? Pas sûr du tout. 

Par Tarik Qattab (le360.ma)

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