Le Maroc réitère son rejet total de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne en date du 10 décembre 2015

Le gouvernement Marocain décide de suspendre tout contact avec les institutions européennes à l’exception des échanges au sujet du recours relatif à l’accord agricole

Réuni le 25 février 2016 à Rabat, le Conseil du gouvernement a réitéré le rejet total par le gouvernement de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne en date du 10 décembre 2015, a indiqué le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, lors d’un point de presse à l’issue de la réunion du Conseil. Cette position a été notifiée par le Chef du gouvernement à l’ambassadeur de l’UE à Rabat. «Le gouvernement dénonce le caractère hautement politique de cette décision, ses arguments infondés, sa logique biaisée et ses conclusions contraires au droit international et en désaccord avec les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU», a affirmé M. El Khalfi. Il a fait savoir que «le Maroc ne saurait accepter d’être traité en simple objet d’une procédure judiciaire, ni réduit à être balloté entre les différents services et institutions de l’Union européenne (UE). La poursuite d’une telle attitude risque de compromettre durablement la confiance mutuelle et la pérennité du Partenariat».

Le ministre ajoute : «En attendant de recevoir les explications et les assurances nécessaires de la partie européenne, le gouvernement a décidé de suspendre tout contact avec les institutions européennes, à l’exception des échanges attendus sur ce dossier». Un Comité interministériel, composé des ministères des Affaires étrangères et de la coopération, de l’Intérieur et de l’Agriculture et de la pêche maritime, a été créé pour suivre de prêt le développement de ce dossier et proposer, le cas échéant, les mesures appropriées qu’il y aurait lieu de prendre pour préserver les intérêts nationaux légitimes, a indiqué M. El Khalfi. Pour rappel, La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a annulé, en décembre dernier, l’accord commercial portant sur les produits agricoles, signé en 2012 entre le Maroc et l’Union UE. Selon l’arrêt du tribunal européen, «le Conseil de l’Union européenne n’a pas vérifié si l’exploitation des ressources naturelles du Sahara sous contrôle marocain se faisait ou non au profit de la population de ce territoire».

Les juges avaient estimé que Bruxelles aurait dû exclure le Sahara marocain du protocole de la libéralisation de ses échanges avec le Royaume, arguant que le sort du territoire est encore examiné aux Nations unies. Depuis, le Maroc, pour qui le Sahara marocain est une cause nationale, a vivement réagi. Selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères publié le 11 décembre, «le Royaume exprime son étonnement au regard de cette décision concernant un protocole qui, comme tous les accords bilatéraux signés, est conforme à la légalité internationale». Le communiqué poursuit ?: «Le Maroc s’interroge légitimement sur l’opportunité du maintien de l’édifice contractuel que les deux parties ont réussi à construire sur de longues années dans les domaines politique, économique, humain et sécuritaire». Pour le Maroc, l’accord agricole avec l’Union européenne, «comme tous les accords bilatéraux signés, est conforme à la légalité internationale».

De son côté, le ministère de l’Agriculture et de la pêche maritime avait affirmé que l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne au sujet de l’accord agricole Maroc-UE est une décision «incohérente», qui va à l’encontre de l’esprit du partenariat historique entre les deux parties. La Chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, avait, quant à elle, affirmé que l’UE considère que les accords bilatéraux avec le Maroc ne sont pas remis en cause. Après plusieurs semaines d’attente, le Conseil européen, qui réunit les Chefs d’?tat et de gouvernements de l’Union et la Commission européenne, a finalement introduit un appel à la décision de la Cour européenne de justice annulant l’accord agricole avec le Maroc. Le pourvoi a été déposé le 19 février, selon plusieurs sources européennes.


Déclarations :

Boutaïna Ismaïli Idrissi, professeur universitaire, Université Mohammed V de Rabat

«Le Maroc devrait tirer les leçons de cette crise pour renégocier son partenariat avec l’Europe»

La décision du Maroc de suspendre tout contact avec les institutions européennes laisse entrevoir l’émergence d’un rééquilibrage des rapports de force entre les deux parties. Acte souverain par excellence, cette décision est un signal fort à l’adresse de la partie européenne selon lequel le Maroc ne peut accepter que ses intérêts prioritaires fassent l’objet de spéculation entre les différents services et institutions de l’UE. Un partenaire de la posture du Maroc mérite un traitement à la hauteur des atouts qu’il présente pour l’Europe dans un voisinage, pour le moins qu’on puisse dire, incertain et ouvert à des développements imprévisibles et incontrôlés. Sans revenir sur les arguments infondés des décisions prises à l’encontre du Maroc et dont la teneur est en déphasage total avec l’évolution du dossier du Sahara marocain dans les instances onusiennes, la position ambiguë de certains services de l’UE soulève beaucoup d’inquiétudes quant à la crédibilité des démarches entreprises pour démystifier cette affaire. Le Maroc devrait tirer les leçons de cette crise, qu’on espère passagère, pour renégocier son partenariat avec l’Europe sur de nouvelles bases et selon des termes plus équitables. Dans un contexte mondial changeant où l’Europe peine à préserver ses acquis, le Maroc, fort de sa profondeur africaine et de son attrait pour les puissances émergentes, qui voient en lui un partenaire d’avenir, est mieux loti pour s’adjuger une place favorable dans le nouveau paysage géostratégique qui se dessine à l’horizon. Aujourd’hui, avec un front intérieur uni et un engagement résolu sur la voie délibérée et volontariste des réformes qu’il mène à tous les niveaux, le Maroc n’a jamais été aussi fort pour dénoncer fermement les violations qui portent atteinte à ses intérêts vitaux, surtout de la part d’un partenaire sur lequel beaucoup d’espoir a été fondé. En définitive, il appartient à l’Union européenne de rectifier le tir et de faire l’effort nécessaire pour redonner espoir aux relations exemplaires qui lient les deux parties. La géographie n‘est pas toujours têtue, comme on nous l’a fait croire.

Driss Lagruini, professeur des relations internationales, Université Cadi Ayyad de Marrakech

«L’UE a touché à une constante de la politique étrangère du Royaume»

La décision du Maroc de suspendre tout contact avec les institutions européennes est une décision souveraine. Car l’Union européenne (UE) devait, compte tenu des relations historiques, de ses intérêts stratégiques avec le Royaume, dans la dimension économique politique et sécuritaire, faire preuve de plus d’attention et de responsabilité s’agissant de la prise de toute décision défavorable au Maroc. Le Maroc, comme tout autre pays, a des intérêts stratégiques et des points fondamentaux dans sa politique étrangère qu’il se doit de défendre. Justement, la question du Sahara en fait partie. C’est un dossier d’une extrême importance aussi bien pour les officiels que pour les simples citoyens. Ce qui en fait un dossier déterminant dans la politique étrangère du Maroc. L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2015 sur l’accord agricole touche incontestablement à une constante de la politique étrangère marocaine et brouille ainsi les relations liant le Maroc à l’UE. J’estime que le Maroc est en droit de défendre ses intérêts et de prendre toute initiative pouvant amener son partenaire européen à saisir la gravité de ses actions. Je pense que les choses ne vont pas s’arrêter à ce niveau et que les relations entre les deux parties vont s’en ressentir. Il faut dire aussi que l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2015 court-circuite l’ONU qui supervise les négociations entre les parties en conflit dans le dossier du Sahara et qui agit pour trouver une solution acceptable par tous. L’arrêt du Tribunal est de nature à brouiller les efforts de la communauté internationale sur ce dossier. D’autant qu’il s’agit d’une position partiale qui prend position en faveur d’une partie aux dépens de l’autre.

Source : Lematin.ma

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