L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, de La FIDH et l’OMCT, vient de publier une étude sur la répression des défenseurs des droits humains en Algérie entre le 22 février et le 05 mai 2020, condamnant les attaques systématiques des militants du Hirak algérien.
En effet, depuis le 22 février 2019, un mouvement de contestation populaire d’une ampleur rare traverse l’Algérie . Ce mouvement pacifique, appelé Hirak, trouve ses origines dans la contestation par le peuple algérien de la candidature du Président Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel. Peu à peu, les revendications des manifestants sont devenues plus larges et le peuple a réclamé un changement du régime dans son ensemble. Ainsi, bien qu’Abdelaziz Bouteflika ait retiré sa candidature à l’élection présidentielle début avril 2019, les manifestations se sont poursuivies notamment tous les vendredis à travers le pays. Lors de ces rassemblements populaires pacifiques, les manifestants réclament « un ?tat civil et non militaire » et une « Algérie libre et démocratique » .
Malgré son caractère pacifique, ce mouvement a été durement réprimé par les autorités algériennes. Les interpellations, arrestations, détentions arbitraires et mauvais traitements de militants pacifiques mais aussi de simples manifestants se sont multipliés . Une estimation au 30 mars 2020 du Comité national de libération des détenus (CNLD) évoque le chiffre de 1 200 « détenus du Hirak », mais la répression est entourée d’une grande opacité et il n’existe pas de chiffre officiel d’arrestations ni de détentions.
De nombreuses
femmes ont pris part aux manifestations depuis la grande manifestation du 8
mars 2019, et l’une des caractéristiques du Hirak a été la réactivation d’un
mouvement féministe historiquement très important. Il est à noter que les
femmes manifestantes et les femmes défenseures des droits humains n’ont pas été
victimes de la répression autant que les hommes. Cependant, plusieurs cas de
violences à l’égard des femmes de la part des autorités ont été documentés , notamment en avril 2019,
ainsi que quelques cas d’arrestations de femmes, comme celui de la militante du
Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Samira Messouci.
La répression à l’encontre des défenseurs des droits humains s’est très clairement intensifiée depuis septembre 2019 et le harcèlement judiciaire à l’encontre des défenseurs des droits humains, membres particulièrement actifs du mouvement, est de plus en plus utilisé par les autorités pour tenter de réduire ceux-ci au silence. Une vague de libérations de manifestants mais aussi de figures du Hirak telles que Lakhdar Bouregaa a eu lieu entre décembre 2019 et janvier 2020 , et laissait espérer une volonté d’apaisement de la part du pouvoir. Cet espoir a cependant été assez rapidement déçu puisque, dès le mois de février, la répression a repris, notamment autour de célébrations de l’anniversaire du Hirak.
Dès le samedi 22 février 2020 en effet, et pendant quatre week-ends consécutifs jusqu’au 15 mars, les manifestations ont été violemment réprimées par la police et plusieurs centaines de manifestants pacifiques, dont un grand nombre de femmes, ont été interpellés .
Alors que le monde fait face à la pandémie du COVID-19 et à une crise sanitaire sans précédent, le Hirak a décrété une « trêve » à partir du 15 mars 2020, en suspendant les marches pour des raisons sanitaires, afin de prioriser la lutte contre le virus. Les autorités semblent cependant refuser de respecter cette « trêve », puisqu’elles ont continué d’arrêter, harceler et condamner plusieurs militants et militantes des droits humains qui ont manifesté pacifiquement et dénoncé les dérives du nouveau régime algérien. Alors que le gouvernement a décrété la libération de plus de 5 000 détenus le 1er avril 2020, aucune de ces libérations n’a concerné des défenseurs des droits humains. Pire encore, des interpellations et des condamnations sévères ont continué de tomber, à l’instar de la condamnation ubuesque de Karim Tabbou ou encore celle d’Abdelouahab Fersaoui. Plusieurs audiences de défenseurs en détention provisoire ont par ailleurs été reportées en raison de la situation sanitaire, comme pour Samir Belarbi, Khaled Drareni ou encore Slimane Hamitouche.
Les défenseurs criminalisés sont :
Hakim ADDAD,Massinissa AISSOUS,Djalal MOKRANI,Ahmed BOUIDER,Kamel OULDOUALI,Karim BOUTATA,Ahcene KADI,Wafi TIGRINEKhireddine MEDJANI, ,Abdelouahab FERSAOUI,Said BOUDOUR,Fodil BOUMALA,Samir BELARBI,Khaled DRARENI,Slimane HAMITOUCHE,Karim TABBOU,Kaddour CHOUICHA,Lakhdar BOUREGAAAbderrahmene AFFIF, , Ibrahim DAOUADJI .
Conclusions et recommandations |
Et l’Observatoire de conclure l’?tude en condamnant fermement la répression généralisée et systématique contre les militants du Hirak, répression qui s’est fortement accentuée depuis le mois de septembre 2019. Cette répression se matérialise le plus souvent par des actes de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, par des arrestations arbitraires et par des détentions injustifiées. Ces mesures ne visent qu’à sanctionner les activités légitimes de défense des droits humains de ces militants, ainsi que les libertés d’expression, d’association et de manifestation de tous les citoyen.nes algérien.nes.
L’Observatoire appelle également les autorités algériennes à :
1. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique des défenseurs mentionnés ci-dessus et de l’ensemble des défenseurs des droits humains en Algérie ;
2. Libérer de façon immédiate et inconditionnelle les défenseurs mentionnés ci-dessus et l’ensemble des défenseurs des droits humains arbitrairement détenus en Algérie, particulièrement dans le contexte de risque accru de propagation du virus dans les prisons, conformément aux recommandations exprimées par la Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la Commission inter-américaine des droits de l’homme, et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) dans sa Déclaration de principes du COVID-19 ;
3. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, à l’encontre de l’ensemble des défenseurs mentionnés ci-dessus ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits humains en Algérie ;
4. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement à ses articles 1 et 12.2 ;
5. Garantir en toute circonstance, avec pour seules limites celles imposées par les mesures prises en raison de la crise sanitaire actuelle due à l’épidémie de coronavirus, les libertés de manifestation, de rassemblement, d’association et d’expression ;
6. Face au risque d’une propagation massive du virus en prison, mettre en place des mesures d’urgence visant à préserver la santé des détenu.es, notamment en matière d’alimentation, de santé, d’hygiène et de mise en quarantaine, de manière adaptée, limitée dans le temps et transparente.