Les organisations de la société civile tunisienne et les associations d’immigrés subsahariens dénoncent le discours « raciste et haineux » du président Kaïs Saïed contre les migrants subsahariens.
Kaïs Saïed, le président de Tunisie, a fustigé mardi [21.02.23], lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, les « hordes de migrants clandestins » venus d’Afrique subsaharienne qui veulent selon lui « changer la composition démographique de la Tunisie ». Dans son discours, le président a également associé les migrants au crime et à la délinquance. Et ses propos offusquent, en Tunisie.
Voici un extrait de propos tenus par le président sur une vidéo amateur :
« Honte » et consternation
Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, est consterné par les propos qu’a tenus le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, mardi [21.02.23]. « Nous avons honte du discours du président, explique le militant des droits humains. Nous protestons contre les mots utilisés qui stigmatisent et discriminent les migrants subsahariens. »
La semaine dernière, plus 300 ressortissants d’Afrique subsaharienne ont été interpellés dans différentes villes du pays. Parmi ces personnes contrôlées, selon la police, pour vérification de leur identité et de leur titre de séjour, se trouvaient aussi des enfants et des étudiants.
Certaines sources évoquent « des dizaines de milliers de personnes » victimes de contrôles arbitraires et interpellation
en raison d’un « délit de faciès » ces dernières semaines.
Réaction des étudiants subsahariens
L’Association des étudiants et stagiaires africains de Tunisie (AESAT) a publié en réaction ce communiqué de mise en garde :
Le président de l’AESAT, Christian Kwongang, annonce à la DW le lancement imminent d’une grande campagne sur internet contre la xénophobie, « pour signaler les publications haineuses ».
L’association a par ailleurs adressé ce jeudi [23.02.23] une demande d’audience aux ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Enseignement supérieur de Tunisie, ainsi qu’un courrier de protestation à la Présidence.
Christian Kwongang signale par ailleurs que certaines ambassades ont pris des dispositions pour permettre à leurs ressortissants étudiants de quitter le territoire tunisien s’ils le désirent. L’ambassade de Côte d’Ivoire lance par exemple une opération de recensement de ses ressortissants désireux de quitter la Tunisie.
Appels de détresse
Sur les réseaux sociaux, certains étrangers subsahariens font part de leur détresse face à l’hostilité grandissante, comme Rachel Zita Bancouly. Cette ancienne joueuse de football de l’équipe nationale ivoirienne vit en Tunisie depuis plusieurs années mais désormais, elle souhaite quitter le pays, et lance un appel dans une vidéo publiée sur internet dans laquelle l’athlète déclare, au bord des larmes :
« Je viens ce soir faire cette vidéo pour demander de l’aide. […] Nous sommes persécutés par la police et les autorités tunisiennes. […] Nous ne sommes plus en sécurité, même dans la maison où nous sommes. Moi, j’ai peur. Je ne dors pas. Je reste éveillée toute la nuit. […] Je suis venue pour vous demander de l’aide : aidez-moi, aidez-moi, aidez-moi ! »
Recul démocratique
Pour le journaliste et défenseur des droits humains tunisien, Omar Mestiri, il s’agit d’un « détournement de l’opinion » orchestré à dessein par les autorités, pour détourner l’attention.
« Pourquoi on fait tout ça ?, interroge Omar Mestiri. Parce qu’il y a de très grosses atteintes [aux droits humains], il y a un retour des pratiques répressives, de la police politique, il y a une confiscation des droits, il y a un dysfonctionnement institutionnel et des corps entiers [de métiers] qui sont visés en même temps. Aujourd’hui on a des menaces, des dirigeants syndicaux mis en prison et visés par des plaintes, des médias attaqués et leurs dirigeants menacés et mis en prison, des dirigeants politiques, des dirigeants d’opposition emprisonnés au nom de la loi antiterroriste. La justice est attaquée… »
Omar Mestiri dénonce un « dérapage dangereux » des instances officielles qui peut favoriser des actes de violence.
La part de l’Union européenne
Sur internet, les discours xénophobes s’enflamment. Un Malien étudiant à Sfax nous confie hors micro qu’il ne recommanderait plus à d’autres de venir étudier en Tunisie.
Omar Mestiri souligne que l’Union européenne porte aussi sa part de responsabilité du fait de sa répression des flux migratoires. Le journaliste s’indignent que les Européens « sous-traitent ce problème-là aux pays de la rive sud [de la Méditerranée], où ils savent qu’il y a beaucoup moins de garanties et que ce qui se passe ici ne va pas être exposé à leurs opinions et ne va pas créer de problèmes internes. »
De nombreuses structures tunisiennes expriment leur solidarité avec les Subsahariens de Tunisie. Elles se mobilisent pour enrayer ce discours xénophobe et continuer à promouvoir les valeurs de tolérance inscrites dans la loi tunisienne qui criminalise le racisme.
Source : DW.com