Rencontre Mohammed VI / Imam Fizazi : L’image et le verbe, l’intrus et le vrai

mohamed vi fizazi« Si le propre de la raison, écrit Georges Courteline (1858-1929),  est de se méfier d’elle-même, combien est persuasive l’éloquence des déments à prêcher qu’ils sont la sagesse, et qu’il est malaisé de démontrer leur erreur ».
Le prêche prononcé le vendredi 28 mars dans l’enceinte de la mosquée Tarik Ibn Zyad de Tanger, devant SM le Roi, est tout sauf banal. Court et précis, habile et conciliant, jouant sur des registres différents, ce prêche est un concentré judicieux de symboles. Visiblement, l’auteur a enfourché une monture  hippogriffe  (créature imaginaire hybride) pour atteindre ce but.

Est-ce le verbe, et donc le prêche, de l’Imam salafiste, qui a frappé les esprits ? Ou bien faudrait-il chercher ce qu’il y a de subtile et de prometteur dans cette rencontre, derrière l’image ?

Le choc de l’image

Depuis la première « khûtba » faite par le Prophète (saws) à Médine, il y a plus de 15 siècles, le prêche du Vendredi s’impose comme un moment singulier dans l’esprit comme dans le dogme et le rituel cultuel musulmans. Son impact, ses attendus et ses fonctions sont incomparables, au regard de l’opportunité qu’il offre aux croyants de se rassembler et de former et «aliéner leurs rangs », de  ce qu’il représente de fondamental en termes de valeurs (union, solidarité, fraternité..) et de ce qu’il véhicule comme solennité. D’autres cultures et pensées religieuses accordent la même attention au discours religieux, telle que l’homélie qui,  prononcée par un prêtre, ou un diacre, remplit des fonctions cultuelles et sociales diverses et essentielles. Bien entendu, prêche et homélie ne sont pas, dans l’absolu, à l’abri de déviances (instrumentalisation et endoctrinement). Ils peuvent, par simple tentation de leur auteur ou sur instruction, prendre l’allure d’un « commentaire de circonstance », d’un sermon de remontrance, d’un appel à la repentance ou bien se limiter à des discours moralisateurs et inquisiteurs (Figures de l’Enfer et du Paradis, des Anges et des Démons, du vertueux et de l’hérétique).

Ce qui semble inédit dans cette rencontre entre un Roi, « amir al-mouminine », garant de la stabilité du pays et symbole de la continuité de l’Etat-Nation et d’un salafiste, à l’itinéraire tortueux, c’est plus que l’apparent et le visible à l’œil nu. En effet, une image, affirment les spécialistes (publiciste, sémiologue etc.), est « une représentation visuelle voire mentale » et la lecture d’une image donne libre cours aux interprétations les plus diverses et aux supputations les plus osées. Devant le tableau de « La Joconde » (1503-1506), c’est de prime abord le « sourire énigmatique » de Mona Lisa qui mobilise le regard et interroge les sens. Mais derrière le tableau il y a tout le génie du peintre florentin, Léonard de Vinci (1452 -1519). L’image a une force particulière ; elle a précédé, comme mode de communication et de transmission,  l’écriture, et son impact se révéla à maintes foissupérieur au mot.

L’image présentant, côte à côte, le Commandeur des croyants, SM Mohammed VI, et un Imam salafiste, Mohamed Fizazi, ne pouvait donc que surprendre et désarçonner le commun des observateurs. C’est une personnalité religieuse particulière. Cet ex-enseignant (maths et français), qui a fréquenté un temps l’université Al Quaraouiyine, est devenu un prédicateur (à la mosquée du quartier Casa Barataà Tanger) pourvoyeur d’avis religieux litigieux et l’animateur d’une pensée « radicale » que ses détracteurs classent dans la rubrique « doctrine jihadiste et takfiriste ». Ses sorties publiques, enflammées (notamment sur la chaine al-Jazzera) et énigmatiques, ont, par le passé, semé le trouble dans les esprits et ont fini par pousser les plus fragiles à commettre l’irréparable (attentats de Casablanca de mai 2003). Ses déclarations (contre Ahmed Assid) médiatiques, depuis sa sortie de prison en 2011, ne sont pas moins problématiques.

Ainsi, lorsque sa posture et son verbe ont pris, ce Vendredi 28 mars à Tanger, une tournure inattendue et inédite c’est l’effet de surprise qui fut à son comble. Mais, au-delà, cette posture et ce verbe semblent indiquer une évolution notable non seulement dans la manière de penser le religieux et de pratiquer l’imamat (direction de la prière) par Mohamed Fizazi, ou encore dans sa relation avec le mouvement salafiste marocain, mais aussi et surtout au niveau de son inscription dans le corpus religieux et son « adhésion » à l’orientation que le pays s’est donné depuis des siècles, privilégiant la doctrine asch’arite et le rite malikite du juste milieu, de l’ouverture et de la tolérance. Quant à savoir si cette évolution, « cette conversion », de Mohamed Fizazi est sincère ou relève d’une habile stratégie, c’est une autre paire de manches.

La force du verbe

Au-delà de l’image, il y a, dans cette rencontre du 28 mars à Tanger entre le Souverain chérifien et le salafiste, le verbe. Et c’est, en la circonstance, le verbe qui donne la mesure de la rencontre et indique ses prémisses et attendus. En effet. Le choix du verset coranique (Qoreich) et la pertinence dont a fait preuve Mohamed Fizazi dans l’emploi des mots paix, stabilité et reconnaissance, constituent des indicateurs sérieux des attendus de l’événement et de la dimension de l’ambition. L’ambition non pas d’un salafiste à la recherche d’une nouvelle légitimité, qui fait montre de repentance et affiche sa volonté de « changer », mais l’ambition de tout un pays, et de son Souverain,  de tourner avec détermination les chapitres douloureux de son histoire récente (Cf. IER), pour ouvrir des chapitres plus glorieux dans la quiétude et la concorde nationale.

Ce n’est pas un mystère, au sens religieux du terme, c’est dans la quiétude et la stabilité que peuvent s’enfanter et se réaliser les œuvres humaines les plus décisives. C’est indéniablement dans la paix et grâce à l’entente nationale que se gagnent les victoires les plus essentielles contre les maux sociaux et sociétaux qui freinent l’essor d’une nation et minent ses fondements et ses solidarités. L’ignorance, la pauvreté et l’injustice sont le terreau sur lequel prospèrent la haine et la terreur.

Rendre grâce à Dieu, le remercier pour les bienfaits dont Il comble Ses créatures est, pour le croyant, une manière d’espérer, car Dieu promet dans Sa grande Miséricorde une largesse infinie : « in tachkorana la ‘azitanakûm ».
Rendre hommage et manifester de la reconnaissance à ceux des « ahl al-amr » (détenteurs de l’autorité), qui œuvrent, avec honnêteté et abnégation, pour que la justice et la liberté règnent dans le pays et profitent à tous les enfants de la nation, pour que se réalisent la prospérité, ce n’est aucunement l’expression d’une servitude et d’une crainte. De même, louer ceux qui ont pour rôle de médiatiser, de transmettre et d’éduquer (Imam, éducateur, enseignant etc.) pour que s’observent pleinement les commandements d’un Islam du juste milieu, tolérant et à mille lieux des tendances takfirites et jihadistes, ne peut-être que l’expression d’une obligation citoyenne bien comprise et  d’un devoir collectif qui incombe à toute la communauté.

Stabilité et concorde nationale

Somme toute, le Maroc a besoin aujourd’hui, plus que jamais, de stabilité et de concorde nationale pour poursuivre son œuvre de réforme. Ce que le Maroc a réalisé de grand et de décisif en une décennie est tout simplement exceptionnel. Mais, au fond, il n’y a rien d’ « exceptionnel » sous le ciel d’un pays de plus de 12 siècles d’histoire, d’un pays de lumière et de contraste, divers et tolérant, accueillant et ouvert, telle la Tente d’Abraham ouverte sur les quatre points cardinaux.

Il est toujours possible de se contenter d’aller à la recherche de l’intrus et de l’inédit dans l’image de SM le Roi et du salafiste. Mais, n’est-il pas plus judicieux de se réjouiret d’applaudir chaque fois qu’un pas, un fait, un geste ou une initiative, vient aplanir les conflits et les difficultés et, ainsi, consolider la marche du pays vers un destin meilleur ?
Certes. Ce qui singularise le Maroc ce sont ses atouts naturels et sa position géostratégique unique. Mais c’est aussi  une volonté royale « plus forte que le sable » qui a fait des provinces du Sud un modèle de développement. C’est cette volonté qui se manifeste aujourd’hui, par tout dans le pays, sous forme d’une avancée irréversible sur la voie du développement économique et de la construction de l’Etat de droit, auquel  la Constitution de novembre 2011 apporte le ciment et trace le cap et les perspectives. Cette singularité, c’est également un retour aux sources historiques du pays et la magnificence de ses racines africaines aujourd’hui ravivées et inscrites par le Souverain Chérifien dans une philosophie et une dynamique nouvelles.

Tout ce travail de fond ne pouvait être et ne pouvait se faire que dans un climat politique interne apaisé et dans une confiance partagée. Mais la confiance ne se décrète pas. Elle se construit, s’entretient et se renforce en permanence.
Peu apporte ce que le Monarque Chérifien et le cheikh salafiste se sont dit en aparté à l’occasion de cette prière du Vendredi 28 mars à Tanger. Car, comme l’a affirmé Mohamed Fizazi lui-même,  «Ce geste nous démontre à quel point le roi est sage et intelligent. Il envoie un message fort à toute la société marocaine et au monde entier».
Au-delà du choc de l’image, cette rencontre témoigne au fond de la magnanimité du Souverain et sa vision éclairée et prospective d’un Maroc bienheureux en capacité de permettre à tous ses enfants de s’y identifier et d’y prospérer et qui n’exclut personne même les « brebis galeuses » qui souhaitent un retour sincère au bercail.

 «Ma rencontre avec le roi Mohammed VI était très belle » se plait à répéter depuis Mohamed Fizazi. « Quand on est en face de lui, on ne se sent pas intimidé ou peureux, il vous met à l’aise et c’est incroyable!«. Tout est dit.

Par Dr Mohammed MRAIZIKA

(Chercheur en Sciences Sociales, Consultant en Ingénierie Culturelle….)

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