Il fut un temps, pas très loin, où le niveau de développement entre le Maroc et l’Espagne était relativement proche et de nombreux Marocains, se souviennent encore que dans les années 1970 les immigrés espagnols venaient chercher du travail en terre marocaine.
L’intégration de l’Espagne à l’Union Européenne (U.E), passant par-là, et les réformes politiques profondes exigées par Bruxelles, ce pays a connu un boom économique fulgurant.
Les relations maroco-espagnoles sont aussi passionnées que complexes. Contrairement à d’anciennes colonies espagnoles, le Maroc a longtemps été considéré comme une potentielle puissance rivale.
Sur le plan bilatéral, l’essentiel des relations avec le Maroc s’appuyait sur une politique de bon voisinage pour réguler les flux migratoires, d’interdépendance économique et une proximité entre deux Monarques qui reste inédite de par le statut des deux Rois.
Le rapprochement a atteint son point d’orgue lorsque l’Espagne avait détrôné la France en devenant le premier partenaire commercial européen du Maroc, devenant un réceptacle privilégié des investissements marocains en Europe.
Mais la crise entre les deux pays était latente et pour en comprendre l’origine, il faut remonter 14 ans en arrière, au moment du lancement du port Tanger Med.
Le Maroc souhaitant se mettre à niveau et capter le flux du commerce mondial traversant la Méditerranée, a opéré un net changement de paradigme économique avec des investissements massifs dans les infrastructures.
Le développement du Nord du Maroc figurait ainsi dans la priorité des plans sectoriels du Royaume du Maroc et aujourd’hui, Tanger est plus fortement connectée au monde que Malaga. Cette nouvelle assise du Maroc comme acteur économique régional a surpris les autorités espagnoles par l’envergure des réalisations opérées par Rabat.
40 millions d’Euros ont été débloqués pour amorcer le développement économique de Fnideq, M’diq et Tétouan à travers la construction d’une zone industrielle notamment, qui pourrait être portée par deux pôles économiques majeurs à savoir les ports de Tanger Med et Beni Ansar, ainsi que les aéroports d’Al Hoceima et de Nador.
Or, les deux villes occupées que sont Sebta et Melila profitaient quant à elles d’un statu quo précaire qui ne dérangeait point Madrid tant que la contrebande faisait vivre les deux villes. De petites crispations pouvaient apparaître de temps à autre, mais les deux Etats se sont habitués à les régler dans la discrétion, en bons voisins.
Et puis il y a 20 mois, deux décisions majeures vont révéler une rivalité maroco-espagnole jusque-là silencieuse. Cela s’est fait en deux actes : d’abord la fermeture par le Maroc d’un point de passage de marchandises avec Sebta et un autre avec Melilia. Si la deuxième enclave est relativement peu impactée par le blocus, la ville de Sebta est quant à elle à l’agonie.
Le deuxième acte du Maroc consistait dans la création d’une agence qui régulera la production de cannabis à des fins médicales et industrielles. L’Espagne a été prise de court. Les retombées économiques d’une telle décision sont considérables et peuvent à elles seules compenser la chute abyssale des revenus des habitants de Fnideq et de toutes les villes du Nord fragilisées par les conséquences dramatiques de confinements successifs.
La relation entre le Maroc et l’Espagne est passée du stade de coup de froid à un état grippal quand Madrid a accepté la demande d’Alger en accueillant Brahim Ghali, soi-disant chef du polisario le 17 avril 2021.
La réaction du Maroc était plus que prévisible. Madrid connaît que trop bien la sensibilité du conflit territorial hérité de ses propres épaves coloniales, il était donc assez aisé de prédire l’irritabilité du Maroc. Rabat avait en effet émis des demandes d’explications par voies officielles et maintenait la pression pour qu’une décision de justice soit appliquée.
Le Maroc veut régler une fois pour toutes la question de son Sahara,marocain, veut sortir du joug du chantage diplomatique et fort de la proclamation américaine, il s’émancipe de plus en plus de la léthargie de l’UE sur ce dossier. Le Maroc dispose de « game changer » sur le terrain et le fait savoir. De son côté, le gouvernement espagnol s’est englué, tout seul, dans un marécage de contradictions.
S’agissant du passage de milliers de migrants via Sebta le 17 mai 2021, il ne peut s’agir, diplomatiquement parlant, que d’une mesure de rétorsion. Tactiquement, cela permet au Maroc de rappeler à l’Espagne que les deux voisins sont liés par des enjeux sécuritaires qui obligent une coopération tous azimuts et en tout temps.
Politiquement, il fragilise le gouvernement espagnol, en grande partie responsable de cette détérioration. Nous avons tous vu comment le Premier Ministre espagnol a été hué à Sebta, du pain béni pour l’opposition espagnole qui n’a pas tardé à réclamer la démission du gouvernement.
Si le Maroc n’a pas d’autre choix que de poursuivre l’édification de sa crédibilité géopolitique, notamment vis-à-vis de l’Europe, la responsabilité de l’Espagne consiste aujourd’hui à choisir. Choisir entre la clarté ou le défaussement diplomatique. En d’autres termes, choisir entre un axe Madrid-Rabat renforcé pour faire prospérer la Méditerranée, ou la défiance systémique.
Les dialogues stratégiques entre les deux acteurs régionaux ne peuvent plus attendre. Le binôme maroco-espagnol devra apprendre à développer des choses ensemble : nouvelle économie, conquête spatiale, énergie renouvelable, ou encore le projet de tunnel ferroviaire en dessous du détroit de Gibraltar, qui peut être un formidable catalyseur d’entente bilatérale.
A nous maintenant de tenter d’espérer que cet imbroglio diplomatique soit une partie de flamenco de mauvais goût, plutôt qu’une Reconquista revisitée et vouée à l’échec.
Le Maroc a commencé une stratégie qui se focalise surtout sur le côté économique de la région, à travers l’étouffement économique des deux villes occupées pour obliger l’Espagne à en renoncer après qu’elles soient isolées.
La fermeture des deux passages de Sebta et Melilia a causé une crise économique sans précédent puisque l’activité de plusieurs Hommes d’Affaires et magasins qui bénéficiaient du commerce entre le Maroc et les deux villes se sont arrêtées, ainsi que le gagne-pain de plusieurs habitants des deux villes occupées.
Le Maroc a donné son feu vert afin que les bateaux européens puissent revenir dans les pêcheries nationales, et ce malgré l’état d’alerte sanitaire décrété au Maroc. Pour la filière espagnole, il s’agit là d’une grande nouvelle.
Soulignons que la fermeture des lieux de restauration et des établissements d’hébergement pénalise le secteur. La baisse considérable de la consommation des ménages, en cette période de confinement, n’arrange pas les affaires. Le marché s’est effondré. La population a baissé sa consommation et les prix ont dégringolé.
A rappeler que, selon l’Accord de Pêche Maroc-Union Européenne de 2019, près de 95 navires espagnols pêchent dans les eaux territoriales marocaines en contrepartie d’une aide financière de 50 millions d’Euros par an.
Cet accord, valable 04 ans, permet aux flottes andalouses, canariennes et galiciennes d’effectuer la pêche à la senne, à la palangre et au chalut ce qui favorise la durabilité de la flotte espagnole dans ses aspects économique, social et environnemental, dans la mesure où il générera des emplois et de la richesse dans des zones fortement dépendantes de la pêche.
Imaginons un seul instant que le Maroc, Etat souverain, ne reconduise ou annule cet Accord de Pêche et opère un blocus total sur les villes occupées de Sebta et Melilia. Ce serait la catastrophe la plus totale pour les habitants de ces deux villes occupées et la faillite totale pour les cafés, bistrots, restaurants et vendeurs de poissons en Espagne.
Que l’Espagne et l’Union Européenne sachent une fois pour toute que le Royaume du Maroc est un pays souverain et jaloux de son intégrité territoriale qui va de Tanger à Lagouira, dans ses Provinces sahariennes.
D’un simple claquement de doigts, il peut amener la misère au peuple espagnol en bloquant hermétiquement les frontières terrestres, maritimes et aériennes avec les deux villes spoliées que sont Sebta et Melilia et signer des contrats de pêche avec d’autres Nations telles que le Japon, la Chine et de nombreux pays africains, américains et asiatiques, tout en annulant ceux paraphés avec l’Union Européenne.
A eux de choisir !
Farid Mnebhi.